Avant que ne soit donné le coup d’envoi de la Coupe du monde, « Sud Ouest » se penche sur le phénomène Dupont. Première étape dans le club formateur de la star des Bleus.

Une sonnerie interrompt Sébastien Bousquet. « Eh ben, tu regonfles la roue ! » Son fils, une histoire de moto, de pneu dégonflé… Le président du Magnoac FC lève les yeux au ciel dans un petit sourire. Il peut toutefois se féliciter d’une chose. Ce coup de fil change de ceux qu’il reçoit quotidiennement ces dernières semaines. « C’est bien simple, dès qu’un numéro inconnu s’affiche sur mon téléphone, c’est un journaliste. Ça n’arrête pas ! Deux à trois fois par jour, des médias de partout en France ou de l’étranger. Même le « Guardian » m’a contacté ! »

La raison de l’intérêt du quotidien national britannique est placardée dans son dos sur un mur. Dans un tableau presque en 4 x 3. Le titre annonce la thématique sans détour : « Antoine Dupont, l’enfant du Magnoac. »

Un maillot du XV de France, des unes de magazines, des photos. Beaucoup de photos. En Bleu, avec ses trophées, sous le maillot du Stade Toulousain et, bien sûr, sous les couleurs du Magnoac FC lorsque la star du XV de France était toute petite.

« Il a encore trois cousins qui jouent au club. Jusqu’à l’an dernier, son frère Clément jouait encore avec nous avant de devenir vice-président. Et c’est son oncle (Jean-Luc Galès) qui entraînait l’équipe jusqu’à la saison dernière », liste Sébastien Bousquet : « Ici, Antoine est chez lui. »

Frénésie Médiatique

Les liens du sang le disent. La géographie aussi. Lorsqu’on arrive en provenance du plateau de Lannemezan, il faut emprunter la route des Pyrénées pour accéder au stade de rugby de Castelnau-Magnoac. Un axe départemental qui, à 200 mètres à peine du but, longe le domaine de Barthas, la métairie Dupont.

En plus du désormais célèbre hôtel situé au cœur de ce village des Hautes-Pyrénées de 773 habitants, ses grands-parents exploitaient ce lieu dans les années 80. Le capitaine du XV de France et son frère, éleveur du très noble porc noir de Bigorre, l’ont repris à l’été 2021.

Clément y arrive le téléphone scotché à l’oreille. Il règle un problème d’alimentation en eau. Une question vitale à l’aube d’un week-end de canicule pour ses bêtes et pour ses cultures. Il préférerait probablement devoir gérer les appels des journalistes…

Pour lui aussi, les sollicitations médiatiques sont régulières. Même une équipe de télévision néo-zélandaise, accompagnée de l’ancien ouvreur All Black Carlos Spencer, est venue tourner chez lui.

« Il fallait le surveiller. Il nous est arrivé plein de petits accidents parce qu’il était casse-cou : il n’avait peur de rien »

Une frénésie que Clément observe avec un flegme patient : « Je ne me rends pas bien compte de tout ce qui se passe, on n’a pas le temps de prendre du recul. Mais c’est vrai qu’à l’occasion de certains reportages, on se rend compte aussi de l’aura qu’il dégage dans le rugby français et mondial. C’est un peu incroyable. Mais il faut rester aussi un petit peu dans les étoiles : on ne peut pas être uniquement terre à terre. »

Le frangin n’est pas encore blasé de raconter son petit frère devenu star. Le ton posé, il « récite » Antoine. Cet enfant débordant d’énergie, toujours dans son sillage, qu’il devait canaliser. « C’est surtout que je faisais le contrepoids, sourit Clément qui a joué jusqu’en Fédérale 1, à Lannemezan. Il avait une force de caractère déjà bien présente. […]

On ne faisait pas des grosses conneries : juste des bêtises qui ont engendré des points de suture et des hématomes. Mais il fallait le surveiller. Il nous est arrivé plein de petits accidents parce qu’il était casse-cou : il n’avait peur de rien. »

L’histoire a été rabâchée à de multiples reprises depuis quatre ans. Des débuts à trois ans et demi seulement, l’interdiction frustrante de jouer avec les plus grands, un tel talent qu’il en était venu à s’ennuyer chez les tout jeunes au point de songer à prendre une licence au football… Mais le rugby était trop ancré dans l’univers familial. À travers ses grands-parents, son père disparu l’hiver dernier, ses oncles, son frère…

On récupère des joueurs formés ici tous les ans. Il ne nous manque que « Toto ». On espère qu’il va finir ici

« Regardez, il avait déjà les attitudes »

« Mon oncle et mon grand-oncle ont été présidents du club de mon village, a raconté Antoine Dupont. Mes grands-parents étaient sponsors avec l’hôtel : ils faisaient à manger, ils lavaient les maillots au sous-sol. Les dimanches, je mangeais chez eux et j’allais ensuite voir le match de l’équipe de seniors. On jouait dans l’en-but, on finissait plein de boue sans avoir réellement regardé la rencontre, mais je n’en manquais pas une. »

Les photos accrochées dans le club-house du Magnoac FC documentent cette époque. Sébastien Bousquet en pointe une du doigt. Appuis bas, ballon sous le bras, Antoine Dupont est figé en plein débordement. « Regardez, il avait déjà les attitudes », sourit l’actuel président du MFC : « J’avais la catégorie de son frère à l’époque. Mais quand on partait en tournoi, on y était. Déjà tout petit, « Toto » faisait des ravages. Il marquait 10, 12 essais à chaque fois. Il prenait le ballon, il allait marquer. Au bout d’un moment, on l’a obligé à faire des passes. Donc il traversait encore le terrain, arrivait dans l’en-but, et seulement là il faisait la passe à l’un de ses partenaires. »

Sur la terrasse du domaine de Barthas, Clément prolonge : « Ce qu’il faisait petit, Antoine réalise la même chose aujourd’hui au plus grand échelon du rugby mondial. Il a grandi, il a pris énormément de maturité en quelques années. Mais je reconnais l’enfant qu’il était. Il est le même avec une vie hors du commun. »

Cette trajectoire s’écrit aussi sur les murs du club. Les maillots des différents clubs d’Antoine Dupont y sont accrochés. Auch, Castres, les Barbarians français, le XV de France. « Il ne manque que celui de Magnoac », note Sébastien Bousquet. Mais le président du MFC ne désespère pas d’en obtenir un : « On récupère des joueurs formés ici tous les ans. Clément a fait partie de la première vague. Il ne nous manque que « Toto ». On espère qu’il va finir ici. » Chez lui

Le Magnoac FC porté par l’effet Antoine Dupont

L’engouement touche le club formateur de la star

Simple coïncidence ? Le phénomène Dupont suit une croissance exponentielle depuis le début du mandat de Fabien Galthié en 2020. Et en quatre ans, le Magnoac FC a connu quatre promotions : le club formateur du capitaine des Bleus évolue désormais en Fédérale 3. Alors ?

La remarque fait sourire Sébastien Bousquet. Mais le président du MFC loue d’abord l’engagement des bénévoles et de l’équipe dirigeante qui a été rejointe cet été par Clément Dupont. S’il a décidé de raccrocher les crampons, le frère d’Antoine n’en a pas fini avec le rugby. « Certains pensent qu’on a des sous en pagaille, qu’Antoine file de l’argent. Mais pas du tout ! »

Jouer au club d’Antoine Dupont

Bon… Le dirigeant ne nie pas pour autant les évidences. Dans le sillage du « meilleur joueur au monde », qui vient encore voir jouer ses cousins au MFC lorsqu’il le peut, l’attrait autour de son club ne se dément pas. Plusieurs indicateurs le démontrent. « On le ressent à l’école de rugby : il y a pas mal de gamins qui veulent venir jouer au club d’Antoine Dupont », note Sébastien Bousquet. « On le voit aussi sur les cartes d’abonnement : on en avait 84, on en est à 400 maintenant. C’est pas mal pour un village de 700 habitants ! »

Cet engouement se transforme d’ailleurs parfois en euphorie. « On organise Une journée pour Antoine appelée les Amis du rugby », explique le président. « Au début, c’était pour le mettre en lumière quand il était à Castres. Désormais, on se fait limite déborder. L’an dernier, il y avait 1 500 repas, 3 000 personnes. Antoine était venu avec des coéquipiers, on avait aussi Garuet, Sella… Même la télé, ils n’ont pas le même casting parfois ! » D. K.-G.